Agence de presse AhlulBayt

la source : IQNA
samedi

7 janvier 2023

18:11:45
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Hijabeuses indiennes : de discriminations quotidiennes à une généralisation de l’islamophobie

Cheikh Alia, experte en informatique à Bangalore, porte l’hijab depuis l'âge de 25 ans. En tant que personne qui a voyagé dans différents pays et passé des contrôles de sécurité et d'immigration dans plusieurs aéroports internationaux, Alia dit qu'elle a toujours rencontré des problèmes avec les agents d'immigration indiens.

« Chaque fois que j'ai voyagé à l'étranger, j'ai eu des problèmes avec les agents d'émigration des aéroports en Inde, qui m'ont demandé d'enlever mon hijab. J'ai rencontré ce problème dans les aéroports de Chennai et d’Hyderabad. J'ai toujours refusé de l'enlever. Sur mes photos de passeport, je porte un hijab. Je ne peux donc pas comprendre quel est le problème. Je leur ai dit que l’hijab n'est pas contre les règles. A l'aéroport de Chennai, j'ai rencontré une femme officier qui était très têtue. J'ai proposé d'aller dans une pièce fermée où je pourrais retirer mon hijab, mais elle a refusé. C'était en 2009 lorsque je voyageais en Malaisie ».

En 2011, Alia a pris un poste à « l'Indian School of Business (ISB) » à Hyderabad en tant que professeure adjointe, puis en tant que chercheur. C'est alors qu'elle s'est rendue compte que ce problème existe même dans les milieux dits libéraux : « Il y avait des gens bien là-bas, mais il y avait aussi des professeurs qui me regardaient comme si j'étais une prisonnière qu'il fallait libérer. Ils pensaient que ce vêtement m'avait été imposé. Il y avait même un professeur très célèbre qui se moquait de moi devant les autres. Lorsque j'ai postulé pour un doctorat, l'un des professeurs m'a dit que si je porte un hijab, je serai victime de discrimination ».

À son retour en Inde, en 2020, les choses avaient empiré.

« J'ai demandé un permis de conduire et tous les documents étaient complets. Le site a montré que le permis avait été délivré mais n’avait pas été envoyé. Mon père est allé leur demander ce qui n'allait pas et ils lui ont dit que c'était à cause de mon hijab sur la photo. Quand je suis allée là-bas, ils m'ont demandé d'enlever mon hijab. J'ai dit que je ne le ferai que si les hommes sikhs sont également invités à retirer leur turban pour obtenir un permis de conduire. J'ai demandé à l’officier de me montrer les instructions qui m'obligeaient à retirer l’hijab. Elle m'a envoyé voir son supérieur qui m'a demandé quel mal il y avait à enlever mon hijab. Après quelques minutes de discussion, il a imprimé mon permis et me l'a remis ».

Comme Alia, Hafsa a décidé de porter l’hijab de son plein gré. Ayant grandi au Cachemire, Hafsa a été exposée aux conflits politiques dès son plus jeune âge. Pour elle, l’hijab n'était pas seulement un moyen de souligner son identité religieuse, mais aussi une confirmation de ses convictions politiques. Après avoir obtenu son diplôme en droit, Hafsa a déménagé à Delhi en 2018. Elle se souvient que les gens la regardaient différemment. Cependant, le travail dans les cabinets d'avocats et les tribunaux, a prouvé ses compétences et les questions sur son hijab étaient plus polies dans les tribunaux supérieurs que dans les tribunaux locaux.

« Les tribunaux régionaux ont agi très cruellement lorsqu'ils m'ont accepté comme avocate musulmane, cachemirie avec l’hijab. Je me souviens que quelqu'un m'a traitée de terroriste à l'intérieur du tribunal. Ce harcèlement s'est intensifié lors des manifestations contre la loi sur la citoyenneté dans la capitale.  C'est alors que je me suis sentie menacée. Un soir, j'ai croisé un groupe d'hommes (hindous), je me suis enfuie. Le lendemain, ma voiture a été encerclée et j'ai dû sortir. J'étais enceinte de quatre mois. Un groupe d'hommes filmait et prenait des photos. Ils m'ont demandé de prononcer la formule hindi de « Salutations au Dieu Ram », ce que j’ai fait, mais ils ont continué à me harceler ».

Lors l’épidémie de COVID-19, Hafsa était enceinte de son premier enfant et devait se rendre régulièrement à l'hôpital pour des contrôles. « Chaque fois que je suis allée à l’hôpital, j'ai senti des regards haineux. L'une des infirmières m'a regardée et m'a dit que ce sont les musulmans qui ont propagé le virus. Chaque fois que nous sortions, notre voiture était arrêtée par la police. À cause de l’hijab, il était facile pour tout le monde de nous reconnaître en tant que musulmans. Mon mari devait sortir, montrer ses papiers et expliquer pourquoi nous étions sortis. Les discriminations envers les femmes portant l’hijab s’étendent à leurs familles. Les femmes ne laissaient pas leurs enfants jouer avec ma fille », a-t-elle dit.

Shahin, 39 ans, vit à Udupi près de Mangalore depuis 13 ans. Cette petite ville a été au centre du débat sur l’hijab. Le premier collège gouvernemental interdisait aux filles voilées d'entrer dans les salles de classe. « Malheureusement, la communauté musulmane est habituée à ne pas prêter attention à ces petits problèmes. Certaines personnes vous regardent vraiment de travers comme si vous veniez de l'espace. C'est ce que j'ai ressenti à Bangalore. Après mon mariage, j'ai déménagé à Udupi. J'avais demandé mon permis de conduire. Ils m'ont demandé d'enlever mon foulard. Je me suis sentie très mal à l'aise et j'ai refusé. Les fonctionnaires ont dit que si j'enlevais mon hijab, j’aurai mon permis de conduire. Il est clair qu'il n'y a pas de loi écrite, mais les femmes portant l’hijab rencontrent de nombreux problèmes. Les enfants musulmans sont exposés à des hostilités difficiles à expliquer pour les parents », a-t-elle dit.

Abir Ahmad, 30 ans, est une ancienne journaliste qui travaille maintenant dans le secteur du développement. Lorsqu'elle a commencé à porter l’hijab à l'âge de 18 ans, elle était la première fille de la famille à le faire. 

« J'aime ma religion. Je pensais que ce foulard me donnerait une identité et je l'ai utilisé pour m'exprimer. Ma famille a pleinement respecté ma décision et m'a soutenue dans toutes mes décisions. Certains des médias les plus respectés de l'Inde que je préfère ne pas nommer, m'ont immédiatement jugée inapte à assumer le rôle de journaliste de terrain à Delhi.  On a toujours supposé que j'appartenais à une famille musulmane traditionnelle qui avait des opinions extrémistes. Les gens vous rendent la vie difficile à cause de la façon dont vous vous habillez. C'est l'une des raisons pour lesquelles j'ai quitté les médias. Au collège, des élèves venaient me voir et me posaient des questions sur le terrorisme et l'islam. Cela montre que les enfants sont conditionnés d'une certaine manière, à la maison, et forcés de rejeter les autres cultures. Le moyen d'empêcher cela est peut-être de commencer à sensibiliser les familles, les enfants et la société en général », dit-elle.

Takbir Fatemeh est une architecte de 38 ans vivant à Hyderabad. Elle est née à Hyderabad, mais sa famille a émigré en Arabie saoudite alors qu'elle n'avait que quatre ans. Elle est retournée en Inde en 2002, à l'âge de 18 ans, pour étudier l'architecture. A cette époque, elle portait l’hijab. Takbir a évoqué les préjugés croissants contre l’hijab et déclaré : « Je suis venue ici en 2002 et il n'y avait pas de discrimination. Hyderabad avait une culture mixte et un équilibre entre les cultures. J'ai fréquenté un collège chrétien très cosmopolite où je n'ai subi aucune discrimination. Mais lorsque j'ai demandé un passeport, j'ai été victime de discriminations. Au bureau des passeports, ils ont insisté pour que nous enlevions notre hijab, nous les musulmans avons décidé de ne pas le faire. En 2019, lorsque j’ai demandé le renouvellement de mon passeport, ils m'ont demandé d'enlever mon foulard. J'ai dit que ce n'était pas nécessaire. Ils ont dit que c'était la loi. J'avais consulté le site officiel des passeports qui présente des règles très claires et des photos d'une femme portant l’hijab. Ils m'ont fait attendre. Une employée très grossière m'a dit que je ne suivais pas les règles. Je lui ai dit que je connaissais les règles et que si ma demande était rejetée, cela ne me dérangerait pas. Bien sûr, je savais qu'elle ne serait pas rejetée parce qu'une telle loi n’existe pas ».